Bugatti privilégie avec grand succès les Grand Prix. Pourtant familière du circuit de la Sarthe mais pas des courses d’endurance, l’équipe de Mosheim s’engage officiellement et pour la première fois aux 24 heures du Mans en 1931. Jean Bugatti dirige les opérations.

 

 

Trois Bugatti Type 50 sont engagées avec de réelles chances de victoires pour ce IXeme Grand Prix d’endurance.

No 4 – Bugatti T50S – Achille Varzi / Louis Chiron - châssis 50112

No 5 – Bugatti T50S – Albert Divo – Guy Bouriat - châssis 50177 ? 50133 ?

No 6 – Bugatti T50S – Caberto Conelli – Maurice Rost - châssis 50131

 

Les adversaires à battre

La crise de 1929 arrive en Europe, Bentley connait de nouveaux ennuis financiers que Barnato ne peut résoudre sans risquer sa fortune entière. Malgré 5 victoires, les Speed Six officielles ne sont donc pas là. Une 4,5L est toutefois présente via un engagement privé. Bugatti sera touché en fin d'année 1930, la récession économique due à la crise mondiale va générer de nombreux licenciements à Molsheim.

La surpuissante Mercedes SSK 7,1L suralimentée qui a animé les 8 premières heures de l’édition 1930 sera un concurrent sérieux.

No 1 – Mercedes SSK – Boris Ivanowski – Henry Stoffel

 

Chez Stutz, apparition de la DV 32 à moteur 8 cylindres d’environ 160 CV

No 3 – Stuz – Edouart Brisson – Joseph Cattanéo

 

Panachage chez Chrysler avec une «imperial » 6,3L et une 4,6L qui permet a Raymond Sommer de faire ses débuts au Mans.

No 2 – Chrysler Impérial – Henri de Costier – Raymond Lussan

No 8 – Chrysler 4.630L – Raymond Sommer – Jean Delemer

 

Talbot aligne deux modèles 105 équipé d’un 6 cylindres de 140 CV

 

L’adversaire le mieux armé semble être Alfa Roméo avec  trois 8C officielles dont l’engagement est fait par des pilotes privés.  Elles sont motorisées par un 8 cylindres 2,3L à compresseur de 150 CV. Pesant à peine 1000 kg, elles frôlent les 200 kmh en vitesse de pointe. Birkin déjà vainqueur avec Bentley a rejoint l’équipe Italienne.

No 14 – Alfa Romeo 8C – Zéno Zehender – Attilio Marinoni

No 16 – Alfa Romeo 8C – Lord Howe – H.R.S. Birkin

 

Trois Bugatti privées sont également au départ

No 19 – Bugatti T43 2,3L – « Ano » « Nîme » (Pierre Louis-Dreyfus et son beau-frère Schumann)

No 22 – Bugatti T40 1,5L – Mme Mareuse – Mme Siko

No 23 – Bugatti T40 1,5L – Jean Sébilleau – Georges Delaroche

 

A noter la présence sur la feuille de pointage d'une Bugatti no 18  qui n'a pas pris le départ

 

Roger Labric, futur biographe des 24 heures dont un passage est repris plus bas, débute sur la Caban no 28 

 

La Bugatti Type 50 

Ettore commence à se détacher de son usine et confie de plus en plus de responsabilité à son fils Jean. La dernière voiture conçue par Ettore est le type 46 ou "petite royale". Le Type 50 est dérivé du Type 46. Les modèles ont beaucoup d’éléments communs. Le moteur huit cylindres à double arbre à cames en tête(DOHC) remplace le simple arbre à cames en tête. Gavé par deux carburateurs Zenith et suralimenté, le moteur 4,9L délivre 225 CV. Le type 50 sera produit de 1931 à 1933 à 65 exemplaires plus ou moins personnalisés.

Les Bugatti sont curieusement peintes en noir. La robe noire est plus adaptée aux lignes du type 50. Pour satisfaire au règlement de l’Aco, elles embarquent 210 kg de lest. 

L’équipe Alsacienne prend ses quartiers au Restaurant des Hunaudières. Albert Divo, pilote engagé sur la Bugatti 5,  est un ami personnel de François Genissel.

 

Les essais

Chez Alfa comme chez Bugatti le carburant ne convient pas aux moteurs.  L'Alfa 8C de Minoia-Campari casse son moteur aux essais et ne prendra pas le départ. Les Bugatti sont également confrontées à des problèmes de pneumatiques.

Tard dans la nuit de vendredi, un garage est éclairé. Les mécaniciens, sous la direction de Monsieur Jean, travaillent. Afin d’augmenter ses chances face à Alfa Romeo, le Patron Ettore a décidé ‘in extremis’ d’élever le taux de compression de ses voitures pour rouler au benzol pur. Il faut être prêt pour les essais du samedi matin.

Chez Bugatti, les consignes de course sont strictes. Faire un début de course sage et attaquer en début de soirée lorsque la température baissera.

 

La course

13 juin 1931, 16 heures. Le temps est splendide et Georges Durand, Secrétaire Général de l’Aco, lâche les 26 bolides. Raymond Sommer sur sa Chrysler est le plus prompt.

LeMans 1931 Départ

 

Chiron sur la Bugatti no 4 prend le commandement et réalise le 1er tour à la moyenne de 126.638 km/h. Au second tour, il améliore à 128.015 km/h.Au troisième tour, la Mercedes-Benz de Stoffel atteint 134.773.

Au virage de Mulsanne, Chiron tire tout droit et effectue une marche arrière pour reprendre la course. Stoffel le dépasse et au 6ème tour son avance est d'un kilometre. 

Après une heure de course la Mercedes est en  tête mais les rangs commencent à se clairsemer avec l’abandon des Americaines. Les deux Chrysler abandonnent sur surchauffe moteur et une Stutz sur baisse de pression d’huile. Bugatti, Mercedes et Alfa sont groupés.

Les pneumatiques de la Mercedes de Stoffel et de la Bugatti de Chiron souffrent. Au 11ème tour Stoffel et Chron s'arrêtent pour changer un pneumatique. Marinoni sur Alfa prend la tête devant les Bugatti T50 de Divo, Rost.

Les trois premiers se tiennent dans le même tour. La surprenante Bugatti Type 43 du tandem 'Ano-Nime' est en 4eme position.

1931 Bugatti 4 Louis Chiron

Après 2 heures de course, Louis Chiron est en 6ème position.

 

A la faveur des ravitaillements Divo prend la tête

A la faveur des ravitaillements, la Bugatti T50 no 5 pilotée par Divo prend la tête

 

Chiron déchappe une seconde fois. Les 'Michelin' ne sont pas adaptés. Par mesure de sécurité Jean Bugatti ordonne à ses pilotes de ne pas dépasser les 185 km /h dans la ligne droite des Hunaudieres.

  Rost sur la Bugatti no 6 est dans le Sillage de la Bugatti no 5

 

18h30 Au cours deson 20eme tour, Rost sur la Bugatti no 6 est dans le Sillage de la Bugatti no 5. Mais la N° 6 ne repasse pas au tour suivant.

21eme tour, Chiron sur la Bugatti n° 4 bat le record du tour à 135,705 de moyenne. La Bugatti n° 6 qui était auparavant 3ème ne repasse pas.

A l’extrémité de la ligne droite de la route de Tours, après les Hunaudières, alors qu’il suivait fidèlement Divo et qu’il roulait à plus de 120 kilomètres à l’heure – car les Bugatti avaient l’ordre de ne pousser qu’aux six heures – Rost déchapait de l’arrière à gauche. La chape s’enroulait autour de la commande de frein qui bloquait instantanément cette roue, la voiture pivotait brusquement, le pilote impuissant se défendait courageusement mais en vain, et irrésistiblement envoyé sur sa gauche quittait la route nationale, franchissait un large fossé, et finalement buttait avec fracas dans le talus qui vint arrêter la lancée du bolide. Il se trouva qu’un malheureux spectateur, qui avait enfreint les prescriptions du service d’ordre, était venu pour mieux voir s’installer dans le fossé où il se dissimulait plus facilement aux yeux des gendarmes et des commissaires de route du poste voisin ; il fut happé par la voiture dans sa tragique trajectoire et tué sur le coup.

D’autre part la Bugatti, qui pesait plus de deux tonnes, en basculant sur le talus faucha un grand sapin, en brisa quelques autres et s’arrêta ainsi gravement détériorée et  naturellement hors de course, son pilote Maurice Rost étant évidemment grièvement blessé !

Mais l’équipe Bugatti, en dépit de la virtuosité et du cran de ses brillants pilotes, continuait à souffrir de ses bandages.

Rost était à peine conduit dans une clinique du Mans que Chiron faisant alors équipe avec Varzi accusait son troisième déchappage (un arrière droit, deux arrière gauche) et sauvait de justesse la catastrophe. Sur quoi Jean Bugatti (et chacun l’en félicita hautement) décidait sans hésiter d’arrêter toute l’équipe. C’était la sagesse même et son père, de qui l’on sait la généreuse sensibilité, lui donnait la même approbation. Les Bugatti marchaient, tout le monde l’a constaté, bien en dedans de leur action et sans cet incident la victoire n’aurait sans doute pas échappé à l’une d’elles.

 

Roger Labric – Les 24 Heures du Mans

Histoire d’une grande bataille pacifique et sportive - 1949

* 4 personnes furent blessées mais on déplore un décès, Mr. Bourgeois (ou Bourgoin) de Sillé le Guillaume.

LeMans 1931 Bugatti T50 Rost

 

Jean Bugatti« Pour une cause indépendante de leur construction » dira le communiqué officiel, les Bugatti sont retirées de la course. Il faut saluer la décision courageuse et responsable d’un jeune patron d’écurie alors âgé de 22 ans, Bien que ses voitures soient en position de gagner, il est soucieux de la sécurité à une époque ou la mort en course est monnaie courante. Monsieur Jean avait toutefois demandé conseils au Patron par téléphone. Dans le doute, la sagesse de retirer les voitures s'impose. A cet instant, Marinoni sur l’Alfa est en tête devant la Bugatti de Bouriat-Livo et la Mercedes.

 

L’équipement pneumatique est tout simplement inadapté à la puissance et au poids de la voiture. La chaleur, la longue ligne droite à pleine charge et le lest ont amplifié le phénomène.A la 3ème heure de course, la Bugatti n° 5 menait devant l'alfa 14, la mercedes 1 et la Bugatti 4. Les Bugatti sont retirées au cours de la 4ème heure de course.

 

 

22ème tour, La Bugatti no 19 pilotée en réalité par P Louis-Dreyfus et Schumann son beau frère casse sa transmission.

A la tombée du jour un violent orage s’abat sur le circuit.

 

L’équipage féminin de la Bugatti 22 qui pointe en 12eme position est disqualifié pour ravitaillement anticipé avant les 22 tours réglementaires.

Beaucoup de difficultés chez Aston Martin Les ailes et les phares se détachent et un châssis casse.

Faute de concurrent; la course se résume dés minuit en démonstration Alfa Romeo. Marinoni-Zehender mènent devant Birkin-Howe. Ils devancent les Talbot et la Mercedes qui est  très attardée suite à ses soucis de pneus.

Durant l’orage nocturne, Zehender sort de la route  Birkin prend la tête

A 6 heures du matin, la Mercedes est remontée en seconde position à 7 tours des leaders.

 

1931 Bugatti 23 sebilleau delaroche

photo ebay - La voiture ayant participé sous le même no en 1932, il est difficile d'identifier l'année

En fin de matinée et après 96 tours effectués, la Bugatti no 23 de Sébilleau-Delaroche abandonne en panne d’embrayage. Il n’y a plus de Bugatti en course.

 

A midi il ne reste que 9 voitures en course et seulement 7 rescapés vont voir le drapeau à damiers. 6 voitures seront classées.

Après plus de 3000 km avalés à plus de 125 km/h de moyenne, les anglais Howe et Birkin font triompher Alfa Romeo. C’est même une doublé Alfa à la distance et à l’indice.

1931 marque la première victoire de la suralimentation au Mans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie 

Les 24 heures du Mans - Histoire d'une grande bataille pacifique et sportive - Roger Labric 1949

Le restaurant Genissel des Hunaudieres - Christophe A.Gaascht/Benoît Deliège - 2007

L'automobiliste - Numéro spécial LeMans 1923-1933 - 1971

 
Pin It