Ernest Friderich

La famille Friderich est originaire de Chatenois, petit village Alsacien près de Sélestat dans le Bas-Rhin.

 

 

Petit rappel historique

19 juillet 1870, début du conflit entre la France et la Prusse

27 septembre 1870. Après des bombardements intenses, Strasbourg capitule. Colmar, Selestat, Neuf-Brisach et Mulhouse tomberont tour à tour

28 janvier 1871 Signature de l’armistice.

Occupée militairement, puis annexée, l’Alsace (comme la Moselle) est déchirée.
Une des étapes de la ‘colonisation’ de la région, consiste à germaniser ce qui peut l’être, y compris en germanisant les noms et parfois les prénoms des habitants. Le nom de famille Friderich a donc été malmené, écorché, modifié par l’administration allemande et repris sans contrôle préalable par la presse française lors des exploits d’Ernest. L’état civil, les autographes, les documents Bugatti, le nom de la concession etc etc mentionnent toujours FRIDERICH.

10 mai 1871, traité de Francfort - Thiers met fin à la guerre franco-prussienne en cédant l'Alsace-Lorraine à l'empire allemand. L’article 2 du traité de Francfort permet aux Alsaciens-Lorrains la possibilité de conserver la nationalité française s'ils quittent la région avant le 1er octobre 1872. (les Optants)

La famille Friderich va tout abandonner pour rejoindre Paris. C’est également le cas de la famille Louis-Dreyfus (Heldé) qui quitte Mulhouse en 1872.

 

Extrait d’une chanson que vous avez surement déjà entendu qui résume l'état d'esprit

Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine
Et, malgré vous, nous resterons français
Vous avez pu germaniser la plaine
Mais notre cœur, vous ne l'aurez jamais.

 

Ci-dessous un extrait du courrier des lecteurs paru dans le journal Alsace-Lorraine du 9 septembre 1912 qui résume bien le refus de se plier à la germanisation des noms et prénoms.

La ‘Rheinish-Vestphaelische Leitung’ journal pangermaniste, qui parait avoir pour mission de faire chez nous tout le mal possible, daigne, dans un de ses derniers numéros, s’occuper des membres du comité de Automobile Club d’Alsace-Lorraine, dont je suis.
Ce sont nos prénoms d’orthographe française qui lui suggèrent de malveillantes observations et nous font traiter d’Allemands de 2ème classe !
Eh bien, non, messieurs de la ‘Rheinish-Vestphaelische’, nous ne changerons rien, pour vous plaire, à ‘orthographe de nos prénoms ! Votre remarque à ce sujet est un manque de tact et une impertinence ! Mais vous avez le nombre pour vous, vous êtes cent contre un – c’est la supériorité que nous vous reconnaissons, elle s’impose à la matière, certes, à l’esprit non.
Nous ne pourrons donc point vous empêcher de vous mêler de nos affaires, quoiqu’il nous soit désagréable de vous voir y mettre le nez. Comme vous avez pour vous la force et que la délicatesse et la générosité vous sont inconnues, tout abus possible vous parait un droit.
Quant à nous traiter d’Allemands de secondes classes, vous n’avez pas compétence pour nous taxer. Je ne sais du reste, en combien de classes se répartissent les allemands, je ne souhaite qu’une chose ; s’il est nécessaire d’être classé, c’est de n’être pas assimilé à ceux qui vous ressemblent !

 

 

23 octobre 1886, naissance d’Ernest Jules Friderich, au 22 rue de la Fontaine du But à Paris.

Fin 1901, début 1902 marque le début des opérations commerciales entre le jeune Emile Mathis et le constructeur De-Dietrich ou officie le tout aussi jeune Ettore Bugatti.

1902, Ettore Bugatti et Emile Mathis participent à différentes courses en Allemagne et en particulier à Frankfort ou Ettore pilote une De-Dietrich de course. Les préparatifs du Paris-Madrid vont consolider les liens entre les deux hommes.
C‘est lors des préparatifs du Paris-Madrid qu’Emile et Ettore font la connaissance d’Ernest Friderich. Ce dernier est embauché par ‘Auto Mathis Palace’ et gère la mise au point définitive et la livraison des voitures aux clients.

De 1900 à 1904, Emile Mathis songe à produire ses propres voitures mais ce n’est qu’à partir de 1904 qu’une voiture est produite sous sa direction. Il s’installe successivement au 18, rue de la Nuée Bleue puis au 50, Faubourg de Pierre et début 1905, au 30 rue de la Mésange puis fin de cette même année au 23-25 rue Finkmatt à Strasbourg. Emile Mathis est davantage un commerçant et un financier alors qu’Ettore est un génie de la mécanique. Les deux jeunes loups s’associe et signe un contrat le 1er avril 1904 pour une durée de deux ans. Emile Mathis, propriétaire d’Auto Mathis Palace finance la conception et la réalisation des nouvelles ‘Mathis-Bugatti’.

Ernest Friderich par lui-même dans un extrait de L'épopée Bugatti par l'Ebé Bugatti

Mon travail [chez Mathis] consistait à mettre au point les voitures que nous recevions de ces diverses firmes [dont Mathis était le représentant] avant de les livrer aux clients. Notre garage comprenait un hangar capable d'abriter six voitures, près duquel se trouvait une écurie appartenant à M. Hyllé, 54, Faubourg de Pierre à Strasbourg. Plus tard, quand Dietrich, de Niederbronn, arrêta la fabrication des voitures, M. Bugatti, conclut une association avec M. Mathis pour la construction d'une voiture entièrement nouvelle.

La voiture fût construite à Illkirch Graffenstaden et reçût le nom d'Hermes. Pour se rendre à l'usine, située à 8km de Strasbourg, je prenais le tramway. M.Bugatti venait à cheval. Par la suite, quand il m'employa à plein temps, je construisis 25 châssis qui furent entreposés dans la cour. Le Général américain, Costry Butt en acheta un et je le conduisis aux grandes manœuvres de l'armée allemande, ainsi qu'aux grandes manœuvres de l'armée française.
Ce fût aussi dans l'une de ces voitures qu'en 1905 [1907?], comme mécanicien du Patron, qui conduisait, je participai au Kaiserpreis, à Hambourg, puis à la Coupe du prince Henri. A la suite de ces épreuves, Bugatti et Mathis se séparèrent et, à la demande de M. Bugatti, je m'engageai avec lui dans une nouvelle aventure.

Nous nous installâmes dans un hangar, au milieu d'un grand jardin, soutenu par la Darmstadr Bank qui avança au Patron l'argent nécessaire à l'achat des machines indispensables à la construction d'une nouvelle voiture. Le hangar et l'atelier jouxtaient le bureau de dessin ou trois dessinateurs se chargeaient de traduire au propre les instructions du Patron? Nous étions également trois dans l'atelier : un tourneur, un ajusteur et moî-même0. C'était en 1906 et 1907.

En juillet de cette dernière année, la voiture fût terminée et les essais se révélèrent très satisfaisants. Après quelques voyages à Cologne, aux usines de la Gaz Motor Deutz, cette firme acquit une licence de fabrication. M. Bugatti devint Directeur du département de fabrication et s'installa dans une villa proche de l'usine. Nous étions fin août, début septembre 1907 et mon dernier travail consista à démonter la voiture, pièce par pièce, pour la remettre au bureau de dessin. Je rejoignis alors mon régiment à Lunéville, en octobre 1907, et passa deux ans dans l'artillerie à cheval.

 

Bugatti va alors réaliser pour Deutz, une seconde voiture, 4 cylindres, 3,2 litres. A ses heures perdues, Ettore élabore pour son propre compte une voiture légère de 1.100cc pesant 300kg et capable d'atteindre les 80km/h. L'assemblage de cette dernière se fait dans sa cave, lorsqu'elle fut terminée, il ne pût malheureusement la sortir, l'entrée de la cave étant trop étroite.
Aidé de Friderich, qui vient de terminer son service militaire, la voiture fût démontée puis remontée au grand jour. Ce fût le premier Pur-Sang Bugatti.

Bugatti pris alors la décision de se mettre à son compte.
Un jour de décembre 1909, accompagné de Friderich, Ettore Bugatti monta dans la petite voiture désormais surnommée ‘la baignoire’ et se rendit à la Darmstadt Bank de Strasbourg ou il avait rendez-vous avec M. de Vizcaya. L'entreprise Bugatti s'installa à Molsheim.

Friderich était l'homme de confiance, l'ami.
Chargé de constituer la première équipe d'ouvriers, Friderich est un mécanicien expérimenté, Il est l'homme à tout faire. Il supervise le montage des châssis, met la dernière main et procède aux essais.

Lunéville, 27 août 1910, mariage d’Ernest Friderich avec Léonie Braun, (Peut-être avait-il fait sa connaissance lors de son service militaire ?)

La course automobile fût rapidement considérée comme le meilleur des bancs d'essais et Friderich va se montrer très à son aise dans son nouveau rôle de pilote.

23 juillet 1911, Le Mans. Sous la canicule, se dispute le Grand Prix de France sur une distance de 650 km. Face à des monstres de cylindrées la petite Bugatti toute blanche pilotée par Ernest Friderich réalise un exploit en terminant à la seconde place derrière la Fiat de 6 litres, type Savannah, pilotée par Victor Hemmery. Il est à noter que la Bugatti courrait alors en livrée blanche, couleur officielle de l’Allemagne, qui occupait l’Alsace depuis 1870. (Au ventoux en 1912, la Bugatti n’est plus blanche)

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La Bugatti d'Ernest Friderich au Mans 1911. Le début d'une longue histoire entre Bugatti et Le Mans.

 

 

16 novembre 1911, naissance de Renée Friderich à Luneville

En 1913, raconte Friderich, je pris part à de nombreuses épreuves : côte du Val-Suzon, Limonest-Lyon, Ventoux-Avignon, Nancy, La Baraque, Toul, Laval, Gaillon, etc.... ou invariablement je remportai la première place.

30 mai 1914. Grand Prix d'Indianapolis
L'épreuve commença très bien. Au quart de la course, Ernest Friderich était en tête. Malheureusement, après 425 miles, la rupture d'un roulement à billes de l'essieu arrière le contraignit à abandonner.

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Août 1915, Friderich fut rappelé du front pour travailler aux côtés de Bugatti.

14 Décembre 1917, une équipe de collaborateurs Bugatti, dont Ernest Friderich, rejoint Elizabeth(New Jersey) ou se trouve l'usine Duesenberg pour superviser le montage du moteur d'avion conçu par le Patron (16 cylindres, 400cv).

A la fin des hostilités, l'usine de Molsheim est dans un état pitoyable, tout est à refaire.

29 août 1920, Grand Prix des voiturettes au Mans.
Le circuit emprunte la route de Laigné en Belin, la route de Tours et un chemin vicinal de Mulsanne. Les trois Bugatti sont conduites par Ernest Friderich, Pierre de Vizcaya et Braccoli, un mécanicien de Molsheim. Le circuit est en très mauvais état et ne reprend que très partiellement l'ancien tracé, le reste du parcours traverse un des plus importants camps militaires que l'armée américaine ait aménagé durant la guerre. Friderich remporta l'épreuve avec 20 minutes d'avance à la moyenne de 92.68 km/h.

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Ettore à gauche et la petite Renée félicite le héros du jour

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8 septembre 1921, Grand Prix italien des Voiturettes à Brescia.
Après une heure de course, Ernest Friderich est en tête à 118 km/h de moyenne. Malgré une crevaison qui va le contraindre à faire dix km à plat, Friderich va remonter et triompher. Une victoire historique pour Ernest Friderich et son jeune mécanicien Xavier Rohfritsch (15 ans). Il a couvert les 300 km en 2h59'17'', battant le record mondial pour la catégorie. Avec quatre Bugatti aux quatre premières places, le triomphe est sans précédent. Le modèle est surnommé 'Brescia'.

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Ernest Friderich et le jeune Xavier RohFritsch

13 Juillet 1922 Grand Prix de l'ACF à Strasbourg

Le Grand Prix de l’ACF de 1922, couru à Strasbourg sur un circuit triangulaire de 13 kilomètres, voit les débuts de la Type 30, une huit cylindres de deux litres à la carrosserie profilée en forme de cigare. Une panne mécanique va malheureusement contraindre Friderich à l’abandon.

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8 avril 1923 - kilomètre lancé de Strasbourg (Cronenbourg) - Encore une victoire pour Friderich

2 juillet 1923 Tours, Grand Prix de l'ACF

Quatre Bugatti avec une aérodynamique retravaillée leur donnant un look de ‘tank’ sont au départ.

La Fiat qui menait la course est contrainte à l’abandon à deux tours de l’arrivée. La Sunbeam de Segrave remporte l’épreuve en 6h35m19s devant Divo.

Ernest Friderich avec son type 32 complète le podium. Sa vitesse de pointe mesurée au Fluxmètre (radar de l'époque) fût de 183 km/h


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Novembre 1923. La décision est prise, Ernest Friderich s'installera à Nice pour représenter les automobiles Bugatti.

8 avril 1924, Kilomètre lancé à Cronenbourg. Victoire.

22 juillet 1924, Ernest Friderich ouvre son agence Bugatti au 40 rue de la Buffa à Nice. (L’agence sera ensuite transférée au 21 rue de Rivoli).

 Garage Friderich Nice

3 août 1924, Grand Prix d'Europe et de l'ACF à Lyon.
Première apparition du révolutionnaire Type 35. Victime de déchappages en série, les pilotes Bugatti doivent réduire leur vitesse. Ernest Friderich termine 8ème.

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Janvier 1925, Friderich s'engage dans le Rallye International de Monaco. Il termine 2eme de la catégorie 1500

7 juin 1925 - Circuit International des Gattières (près de Nice) Victoire

21 février 1926 - Côte du Mont Agel - Victoire en voiture de sport

6 mars 1927, victoire à la course du kilomètre lancé aux Eaux-Mortes près de Genève, dans la catégorie voitures de tourisme 2L

14 août 1927 - Côte de Klausen - 2eme en 2L sport

11 mars 1928, victoire au circuit de l'Esterel-Plage dans la catégorie voitures de sport 3L

18 mars 1928, victoire à la côte de la Turbie dans la catégorie voitures de sport 3L
Friderich prépare également des voitures de compétitions pour Louis Chiron, René Deyfus puis s'ajouteront Czaykowski, Wimille et quelques autres.

En 1928, Friderich céda à Dreyfus une 1500 turbocompressée. Dreyfus disputa 15 courses et remporta 14 victoires. Les victoires en Grand Prix se succèdent.

18 mars 1929, victoire à la côte de la Turbie dans la catégorie voitures de sport 3L
Ernest Friderich va alors stopper sa carrière de pilote pour se consacrer à son garage, son écurie et à sa fille Renée, pilote très douée, qui multiplie des succès dans les rallyes.

6 avril 1930. Grand Prix de Monaco. René Deyfus au volant de la Bugatti de l'écurie Friderich remporte le Grand Prix de Monaco devant les voitures usines du Patron.

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 19300406 GP Monaco Friderich 300

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Dreyfus et Friderich viennent de dompter l'usine

 

24 février 1932, Sa fille, Renée Friderich, grande pilote, se tue au volant d'une Delage, à Pougues-les-Eaux, lors du Rallye Paris-St Raphël.

18 juin 1932, les 24 heures du Mans
Ernest Friderich qui avait délaissé les grandes compétitions depuis plusieurs années se laisse convaincre par son ami Czaikowski de disputer ensemble les 24 heures du Mans. Le début de course est mouvementé avec de multiples sorties de piste parmi les favoris. Friderich et Czaikowski pilotent une T55. Ils ne sont qu'à 4 tours des leaders à 4 heures de l'arrivée. Sommer et Chinetti sur leur Alfa, qui avaient des problèmes de freins jouaient la prudence. La Bugatti remontait au rythme d'un tour et demi à l'heure, une victoire était au programme. Malheureusement Friderich doit arrêter la voiture à 12h20mins, à cause d'une conduite d'huile cassée.

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3 mai 1934, 2ème place au Rallye du Maroc sur une Bugatti 3.3L

29 mai 1939, Friderich termine 4ème du tournoi automobile des fleurs à Nice

22 janvier 1954, Nice, Décès d’Ernest Friderich

1989, afin de rendre hommage aux pilotes qui ont contribué à faire de Molsheim une ville connue à travers le monde, la municipalité a attribué des noms de rues du quartier de Muehlweg à plusieurs d’entre eux dont Ernest Friderich. Toutefois, sans doute inspiré par des documents allemands, le nom sur la plaque a été écorché.

2019 La rectification du nom de la rue de Molsheim est actuellement à l’ordre du jour et qui sait, peut-être qu’à l’occasion des festivités des 110 ans de Bugatti, Ernest Friderich retrouvera sa véritable identité sur la plaque de sa rue. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.

 

Bibliographie

Emile Mathis, constructeur d'automobile - J.F. Blattner

L'épopée Bugatti - Ebé Bugatti

BNF/Gallica

ainsi que de nombreux documents de la Médiathèque André Malraux à Strasbourg

Un grand grand merci à Gérard Hubert et Jean-Christophe Friderich pour leur précieuse collaboration

 

 

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