24 heures du Mans 1971. Porsche 917LUn des problèmes techniques spécifique aux 24 heures du Mans est l’aérodynamique. Longtemps, la course s’est gagnée ou s’est perdue dans la longue ligne droite des Hunaudières.


La finesse favorise la vitesse de pointe et à vitesse égale, une voiture profilée consomme moins.

La longue ligne droite Sarthoise est unique au monde et longtemps les aérodynamiciens  français (Riffard, Charles Deutsh, Marcel Hubert ou Choulet) furent à la pointe dans ce domaine particulier.
Le but des recherches est de déterminer une forme de carrosserie offrant une résistance aussi faible que possible à la pénétration dans l’air. Si on appelle Cx le coefficient de pénétration et V la vitesse, on peut calculer la résistance R = Cx * V2.

Aux 24 heures du Mans 1937, Jean Bugatti engage deux T57G. La carrosserie aérodynamique est avant-gardiste pour l’époque.

24 heures du Mans 1937 Bugatti T57

Le record du tour détenu depuis 1933 par Tazio Nuvolari en 5'31'80'' pour couvrir les 13km492 est pulvérisé de plus de 10 secondes. La Bugatti approche les 220 km/h en vitesse de pointe. La firme de Molsheim décroche la victoire avec l’équipage Jean-Pierre Wimille et Robert Benoist.

Après-guerre, les Panhard Monopole disposent d’une aérodynamique efficace. La voiture remporte le classement à l’indice de performance au Mans en 1950,1951 et 1952. De 1953 à 1955, Panhard s’est engagé directement avec deux autos très profilées et confiées aux frères Chancel. L’étude des carrosseries était l’œuvre de l’ingénieur Riffard.

Marcel Hubert participe au dessin des C.D. du Mans 1962. Ces voitures de seulement 57cv atteignaient 185 km/h en pointe.

Sur les véhicules de grandes séries, la Citroën DS est l’une des premières à bénéficier des différentes recherches sur la pénétration dans l’air.

Au fil du temps, on va voir au Mans des voitures aux lignes de plus en plus fluides mais les aérodynamiciens vont s’intéresser à d’autres phénomènes car la vitesse de pointe ne fait pas tout.

 

Les précurseurs de l’appui aérodynamique

Le projet T80 débuta en 1937 sous la direction du Dr Ferdinand Porsche qui s’était fixé comme objectif de concevoir une voiture capable d’atteindre initialement 550 km/h. Plusieurs tests au tunnel furent effectués par l’Institut de Développement des Véhicules de Stuttgart et par l’Institut d’Aviation Allemand. A cette occasion, les freins aérodynamiques et les volets réglables destinés à accroitre la pression au sol furent l’objet d’essais.
Aérodynamiquement, la Mercedes T80 avait deux petites ailes à sa section médiane pour empêcher le véhicule de se soulever à la vitesse maximum.



L’aérofrein de Mercedes

Les recherches aérodynamiques ne vont pas seulement être utilisées pour gagner des km/h en ligne droite. Mercedes sera un précurseur en présentant aux 24 heures du Mans 1955 des 300 SLR équipées d’un large volet arrière qui s’ouvre lors des freinages.



La découverte Pierre et Michel May

27 mai 1956. Le premier aileron est apparu sur le Spyder Porsche 550 RS que conduisait les suisses Pierre et Michel May lors des 1000 Km du Nurburgring 1956 ou ils furent autoriser à participer aux essais. Avec le 4ème temps, la voiture devance les Porsches officielles. Le patron Huschke von Hanstein dépose une réclamation sous le prétexte que l'aileron gène la vision des pilotes suivants. Par la suite, ils s’engagèrent à la course Supercortemaggiore de Monza ou ils furent refusés au pesage. L’aileron était placé de façon à exercer son effet au centre de gravité de la voiture et il avait une gamme d’inclinaison variant de -3 à + 17 degrés. Michel et Pierre May sont les premiers à comprendre l’utilité d’un aileron.



Une avancée majeure avec la Chaparral

Le premier aileron réglable est apparu en compétition sur la Chaparral américaine dans le but d’améliorer l’adhérence. Sur cette voiture, on va se servir des phénomènes aérodynamiques de pénétration d’un corps dans l’air pour améliorer la tenue de route au détriment de la pénétration proprement dite. A l’inverse d’un avion qui décolle (Portance positive), on utilise l’aileron pour plaquer la voiture au sol (Portance négative). Avec une meilleure adhérence, la voiture passe les virages plus vite. Le gain chronométrique en virage est supérieur à la perte de temps dans les lignes droites, c’est une avancée majeure.

1965. Une des deux Chaparral 2C engagées en compétition aux Etats-Unis est équipée d'un aileron mobile commandé par le pied gauche du pilote.

1966. la Chaparral 2E est équipée d’un aileron mobile directement relié aux porte-moyeux des roues arrière et toujours commandé par une pédale. Un deuxième aileron mobile est installé sous le nez de la voiture afin de rééquilibrer l’ensemble.

Au 24 heures du Mans 1967, deux Chaparral 2E sont au départ. L’équipage Phil Hill/Mark Spence réalise le deuxième temps des essais mais les deux voitures abandonnent en course sur problèmes mécaniques.

Chaparral


Les travaux de Porsche

Après la guerre, la plupart des modèles Porsche furent essayés dans le tunnel de Stuttgart.

Au cours du salon automobile 1950 à Paris ou Porsche présente ses 356, Charles Faroux rencontre Ferdinand Porsche et l'incite à venir participer aux 24 heures du Mans. C'est la premiere invitation faite à une firme allemande depuis la fin des hostilités. Le coupé 356 "light metal" sera la base de la voiture engagée au Mans. Voiture profilée et légère (680 kg), la 356 est propulsée par un moteur 4 cylindres(64 x 73,5 mm) de 1086 cc3 placé à l'arrière. La vitesse de pointe est de l'ordre de 160 km/h. Elle réalise son meilleur tour à la moyenne de 140,909 km/h et va terminer 20eme au classement général et surtout 1ere de la classe 1100 cm3. C'est la 1ere victoire de Porsche au Mans.... ce ne sera pas la dernière...

En 1965 et 1966, un travail intensif fût mené lors de la conception de la Carrera 6. Le but initial était de diminuer la résistance à l’air. Le premier résultat positif obtenu par la Carrera 6 en version longue queue fût ses victoires à l’indice de performance et de classe aux 24 heures du Mans 1966. La longueur était accrue de 60.5 cm et grâce à une surface frontale réduite, la vitesse maximale obtenue au Mans gagna 20 km/h (285 contre 265). Les temps au tour furent améliorés dans une fourchette de 5 à 7 secondes.

A une époque où les constructeurs recherchent la puissance, Porsche se démarque en favorisant la légèreté, la fluidité et en misant sur des cylindrées plus faibles. Du downsizing avant l’heure dont l’idée sera remise au gout du jour dans le concept Deltawing en 2012.
Le 14 août 1966, lors des 500 km d’Hockenheim, la version longue queue de la Porsche prend un tour à la version classique après seulement 30 tours de course.

Dans le même temps, Porsche teste à Hockenheim des déflecteurs réglables sur une version classique. Malgré une vitesse de pointe moins élevée, on constate une amélioration notable des temps au tour.

Dans les courses de côtes, Porsche équipe ses « Bergspyder » ultra légers de volets mobiles.
Sur ses prototypes, les différents tests conduisent Porsche à utiliser des déflecteurs avant qui n’opposent qu’une résistance à l’air relativement faible couplés à des volets arrière contrôlés par la suspension. Le volet intérieur apporte un appui à la roue qui a tendance à se délester pendant que le volet extérieur fonctionne à l’inverse pour rééquilibrer le train arrière. Au freinage, les deux volets agissent simultanément et dans le même sens pour augmenter la pression sur le train arrière.

Des essais complémentaires sont menés au Mans lors des essais préliminaires de 1968. Les pilotes se plaignent toutefois d’instabilité à haute vitesse et au freinage. Des dérives verticales sont testées. Des gains en tenue de route et en stabilité à haute vitesse permettent à Porsche d’améliorer ses temps au tour mais la GT40 reste nettement la plus rapide des préliminaires.

Les volets mobiles sont utilisés en course aux 200 miles du Norisring puis à Watkins Glen.

Un aileron fixe entre les deux dérives est testé en soufflerie puis installé pour les 24 heures du Mans 1968. Aux essais, comme en course, les voitures sont désormais plus performantes que les GT40 pourtant plus puissantes mais la fiabilité n’est pas au rendez-vous. L’équilibre entre la fluidité aérodynamique et l’appui semble toutefois enfin trouvé.

Le projet 917 commencé durant l’été 1968 va profiter directement des recherches réalisées sur ses ainées. La Porsche 917 débarque sur les circuits en 1969 mais l’équilibre est très loin de répondre aux attentes. Jo Siffert et bien d’autres estiment la voiture dangereuse et rechignent à la conduire.

Au Grand Prix d’Espagne de formule 1 1969. Les ailerons des Lotus se brisent. La CSI réagit immédiatement en interdisant les éléments aérodynamiques mobiles en compétition. Pour Porsche c’est un coup très dur.

Aux essais du Mans, les redoutables 917 conservent les volets prohibés et pulvérisent les chronos mais un mano à mano entre l’ACO et Porsche commence. Menaçant de boycotter l’épreuve, le constructeur allemand exige une dérogation pour conserver ses volets mobiles en faisant savoir que sa voiture est conçue et homologuée ainsi et que la 917 serait totalement instable et dangereuse sans ces éléments. Un accord favorable aux représentants de Stuttgart pour conserver ces appendices sur les 917 est trouvé en dernière minute mais la fiabilité du nouveau monstre n’est pas à la hauteur de ses performances.

Février 1970. Conscient du manque d’équilibre de la 917, Porsche confie l’étude au cabinet SERA, une société française spécialisée dans l’aérodynamique.
SERA-CD (Société d’Etudes et de Réalisations Automobiles Charles Deutsch) fut créée par Charles Deutsch, dans les années 60. Les premiers projets sont des voitures de course profilées qui courrent aux 24 heures du Mans: DB (Deutsch Bonnet) puis CD (Charles Deutsch), sur des motorisations Panhard puis Peugeot.



Des versions longues queues plus véloces mais mal récompensées en course

24 heures du Mans 1970. Malgré un timing très serré et deux crashs lors d’essais effectués à Wolsburg (Liés à des aquaplanings), la 917 L revue par SERA affole les chronomètres. Vic Elford bat le record du circuit du Mans et obtient la pole position en 3’19’’8.

Le samedi 13 juin 1970 à 16 heures, Ferry Porsche libère les 51 bolides dont 24 voitures sont…. des Porsche. Elford et Siffert se livrent une bataille immortalisée par Steve McQueen dans son film « LeMans ». La version longue queue (L) domine son sujet dans les Hunaudières alors que la version queue courte (K) refait son retard dans les portions sinueuses.

24 heures du Mans 1970 Porsche 917L

Les vitesses de pointe surréalistes annoncées ici ou là sont à revoir à la baisse. Des relevés de vitesses effectués par l’ACO en début d’épreuve annonce 331 km/h au Km 4, soit au 1er tiers de la ligne droite des Hunaudières. Un radar posé en fin de la ligne droite au moment où les vitesses sont maximales aurait été plus judicieux (Une analyse chronométrique à partir des images filmées depuis l’hélicoptère reste réalisable). En 1970, une vitesse de l’ordre de 350/360 semble beaucoup réaliste.

La pluie incessante de l'édition 1970 ne sera pas favorable aux records et va favoriser la version K qui est beaucoup plus agile dans les conditions d’adhérences précaires.
24 heures plus tard, Porsche (917K) remporte sa première victoire au classement général des 24 heures du Mans. C’est un triplé complété par sept voitures de la marque dans les 10 premières places.

Lors des essais préliminaires des 24 heures du Mans 1971, Jacky Oliver pulvérise le record du tour avec un temps de 3’13’’6 avec une 917L mature. En course, la lutte fratricide entre les ténors va empêcher la longue queue de s’illustrer au Mans. Marko et Van Lennep s’impose au volant d’une 917K.


Victoire de l’aileron monté en deux dérives

24 heures du Mans 1972. Les nouvelles règles interdissent les cylindrées supérieures à 3L. Matra est la première firme à imposer une voiture équipée d’un aileron fixe monté entre deux dérives. Le constructeur avait amené plusieurs types de carrosseries. La version longue de Cevert/Ganley termine seconde derrière la version courte de Pescarolo/Hill.



Les wing Cars

1977 L’effet de sol ou effet venturi marque une évolution majeure. Cette technique développée par Colin Chapman sur les Lotus 78 et Lotus 79 révolutionne la Formule 1. Dessinée avec de larges pontons latéraux qui prennent la forme d'une aile d'avion inversée (d'où le nom « wing car »), la Lotus 78 permet d'accélérer l'écoulement de l'air sous le châssis. Le gain est important dans les courbes. Les wing cars seront interdites par la FISA en 1982. Le Mans avec sa longue ligne droite ne verra pas de prototypes marquants dans ce domaine.



Le cap des 400 km/h

A la fin des années 80, Jaguar, Sauber et Porsche 962 vont flirter ou dépasser la mythique barre des 400 km/h.
24 heures du Mans 1988. La WM Peugeot pilotée par Roger Dorchy atteint 407 km/h dans la ligne droite des Hunaudières. Ce record à toutes les chances de ne jamais être battu puisque deux chicanes vont être installées dans cette section en 1990. La ligne droite est découpée en trois tronçons et aujourd’hui la vitesse maximale est le plus souvent atteinte juste avant Indianapolis.

 

La fin de la mythique ligne droite

1990. Afin de statisfaire à la règlementation internationale, deux chicanes sont ajoutées dans la ligne droite afin de briser la vitesse.

Le Mans a perdu sa spécificité et on peut considérer que les constructeurs ne fabriquent plus une carrosserie spécifique au circuit du Mans. Les vitesses maximales avoisinent les 340 km/h et l’équilibre aérodynamique reste toujours une préoccupation majeure. A cette vitesse, le droit à l’erreur est nul et plusieurs constructeurs ont vu leurs voitures s’envoler comme des avions (Matra en 1969, Porsche en 1985 ou Mercedes en 1999 etc…).

 

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